Dix ans après l’Accord de Paris, l’IA impose un nouveau cadre d’action
Dix ans jour pour jour après l’adoption de l’Accord de Paris en 2015 par 196 pays pour limiter le réchauffement climatique[1], il devient indispensable d’interroger l’arrivée du Deep Learning, qui structure désormais nos infrastructures numériques. Le décor a changé : les États avancent puis reculent, les territoires s’adaptent tant bien que mal, et les citoyens apprennent à composer avec l’incertitude.
Rien, en 2015, n’avait anticipé l’irruption éblouissante de l’intelligence artificielle ; et pourtant, elle re configure aujourd’hui en profondeur les cadres d’action et de gouvernance environnementale.
Dès lors, une question s’impose : peut-on encore gouverner et penser l’environnement avec un accord qui ignore ce qui re configure désormais nos leviers d’action ?
L’IA n’est plus un outil marginal : elle modélise les climats, détecte les fuites de méthane, anticipe les feux, optimise les réseaux énergétiques. Là où les politiques patinent, elle ouvre des possibilités.
Mais elle porte aussi son propre paradoxe : ces technologies, censées réduire les émissions, reposent sur des data centers énergivores, des infrastructures lourdes et des chaînes d’approvisionnement globalisées.
Un outil pour le climat qui peut aussi abîmer le climat — non seulement par l’électricité consommée, mais par toute la chaîne : serveurs, matériaux, circuits, mines, réseaux, câbles, eau. Une étude du MIT estime que la consommation électrique liée à l’IA pourrait atteindre 85 à 134 TWh par an d’ici 2027, soit l’équivalent d’un pays comme l’Argentine[2].Ces infrastructures constituent aujourd’hui un poids réel : les data centers consomment déjà 415 TWh par an, près de 1,5 % de l’électricité mondiale[3]. En France, ils représentent 46 % de l’empreinte carbone du numérique[4], ce qui donne l’ordre de grandeur de leur impact écologique
Le Principe responsabilité à l’ère de l’IA
Hans Jonas l’avait formulé avec une lucidité brutale dès les années 1980 : la technique finit toujours par générer les problèmes mêmes qu’elle prétend résoudre.
L’IA ne fait pas exception. Ce paradoxe devient l’un des angles morts de la gouvernance internationale : une technologie célébrée comme solution, mais qui, sans cadre politique clair, peut amplifier les déséquilibres.
Nous sommes dans l’œil du cyclone. La gouvernance, l’environnement, l’innovation, la sobriété, la régulation gravitent autour de nous. Mais le cœur — le cadre d’action — n’a pas encore changé.
Dix ans après l’Accord de Paris et un mois après la COP30, un constat s’impose : l’IA est désormais un acteur, mais elle n’a toujours pas de statut politique.
Les questions qui structuraient l’Accord de Paris et les COP — réduction des émissions, financement de la transition, adaptation, diffusion technologique — étaient pensées pour un monde où l’IA n’avait aucune présence dans les politiques publiques.
Aujourd’hui, une autre interrogation surgit : comment intégrer les technologies d’IA — leurs infrastructures (data centers, métaux, énergie, eau) et les usages sociaux qu’elles transforment — dans la gouvernance climatique ?
Et surtout, qui doit en assumer la responsabilité : citoyens, entreprises, territoires, géants du cloud, États ?
Quand le local reconfigure le global
Dans cette transition encore floue, la Maison de l’Intelligence Artificielle et le Département des Alpes-Maritimes tracent déjà un chemin.
Le SMART Deal 06 et le GREEN Deal 06 illustrent une manière d’articuler numérique, IA et service public autour d’une vision humaine et éthique : jumeaux numériques, prévention des incendies, inclusion et modernisation des services publics, sobriété énergétique, gestion de l’eau et des ressources.
Ici, l’innovation n’est pas un horizon technologique abstrait : elle s’inscrit dans des usages situés, concrets et mesurables.
Ces expérimentations locales dessinent ce qui manque encore à la gouvernance internationale.
Peut-être y a-t-il là un clin d’œil possible à l’histoire ? L’idée d’un « Accord 2025 » qui ne naîtrait pas d’une grande conférence mondiale, mais d’un territoire qui ose expérimenter ce que le monde hésite encore à nommer. Un accord local pour une question globale.
Dix ans après Paris, nous ne sommes pas face à un échec, mais face à une complexification.
L’IA amplifie nos capacités d’agir, mais, dans le même élan, elle met au jour des contradictions majeures qu’il nous faut affronter avec lucidité.
Nicolas CAMERATI, Chargé de médiation et de projets IA à la Maison de l’Intelligence Artificielle
[1] ONU : Convention-cadre sur les changements climatiques
[2] MIT: Responding to the climate impact of generative AI
[3] Agence internationale de l’énergie (AIE), 2024 : Évaluation de la consommation électrique mondiale des data centers
[4] ADEME : Data centers : La face pas si cachée du numérique