Robots humanoïdes : quand la hype dépasse la réalité
Les vidéos de robots « humanoïdes » se multiplient : majordomes qui rangent la vaisselle, machines qui plaisantent sur Instagram avec des célébrités, « Jeux Olympiques des Robots » à Pékin… L’imaginaire est séduisant (déléguer nos corvées et vivre enfin la « vie assistée par IA »).
Mais derrière le spectacle, la réalité est plus prosaïque : beaucoup de démonstrations reposent sur une mise en scène et une assistance humaine invisible, tandis que l’autonomie réelle reste très limitée. Or, à mesure que les attentes et les investissements explosent, le risque d’une désillusion collective plane sur tout le secteur robotique.

(c) 1X Technologies
Des démonstrations trompeuses
Aux World Humanoid Robot Games 2025, la plupart des robots ont chuté ou nécessité une intervention humaine (un rappel de l’écart entre vidéos léchées et performances réelles).

(c) Associated Press
Même constat avec NEO de 1X Technologies : présenté comme un futur majordome, il dépend largement d’un mode télé-opéré “Expert”. La télé-supervision, centrale dans l’apprentissage robotique, est pourtant souvent minimisée dans le discours marketing.
L’idée d’un robot réellement autonome, polyvalent et capable d’évoluer dans un foyer humain demeure lointaine. Les défis (perception, manipulation d’objets fragiles, planification, sécurité) restent importants.

(c) 1X Technologies
L’histoire rappelle d’ailleurs que ces illusions ne sont pas nouvelles. Le célèbre “Turc mécanique”, construit au XVIIIᵉ siècle par Wolfgang von Kempelen, fut présenté pendant des décennies comme un automate capable de battre les meilleurs joueurs d’échecs.
Il impressionna les cours royales d’Europe, défia Napoléon et Beethoven, et nourrit l’idée d’une machine dotée d’une intelligence quasi magique. Ce n’est que plus tard que l’on découvrit la vérité : un maître d’échecs se dissimulait à l’intérieur du meuble, actionnant les mécanismes et donnant l’illusion d’une autonomie totale.
Trois siècles plus tard, la métaphore reste pertinente. Comme le Turc, de nombreux robots modernes sont présentés comme autonomes alors qu’ils reposent en réalité sur un mélange de scripts, de télé-opération et d’assistance humaine.
La culture du « fake it till you make it »
Dans la tech, la narration précède souvent la réalité (parfois jusqu’à la caricature).
On l’a vu avec Theranos, où la promesse d’analyses sanguines “révolutionnaires” s’est muée en fraude selon la SEC et la justice américaine, rappelant qu’un récit séduisant ne remplace ni la validation ni l’audit technique.
Plus près de l’IA, Builder.ai a longtemps vendu l’idée qu’une “intelligence artificielle” construirait vos applis, avant que des enquêtes ne documentent la place du travail humain et que la société ne bascule en insolvabilité en 2025, révisant au passage des chiffres de ventes et suscitant des investigations.
Même quand il ne s’agit pas de fraude, le casting de la démonstration peut façonner la perception : lors d’AI Day 2021, Tesla a d’abord présenté “Optimus” via un performer en combinaison imitant le robot (symbole d’un spectacle qui devance le prototype fonctionnel et ancre des attentes démesurées).
Trois cas, trois nuances, mais une même leçon : sans transparence sur la part humaine et le degré réel d’autonomie, la hype détourne l’attention des preuves et des limites (et prépare la désillusion)…
Pressions du marché et besoin de transparence
Le marché des robots de service croît, mais surtout dans les usages simples : aspirateurs, tondeuses, transport logistique, nettoyage. Les humanoïdes généralistes n’y jouent encore aucun rôle significatif. Pour se démarquer, les startups sont tentées de promettre plus vite qu’elles ne livrent.
Certains acteurs misent sur une stratégie progressive : s’appuyer sur la simulation, itérer, documenter les limites… NVIDIA, par exemple, développe des modèles dédiés aux humanoïdes afin d’accélérer l’apprentissage dans des environnements virtuels contrôlés. La startup 1X Technologies se distingue aussi par sa transparence concernant la supervision de son robot NEO (rareté appréciable dans un secteur où la mise en scène domine encore).
La réalité du terrain

Les robots humanoïdes ont un potentiel réel, déjà observable dans les entrepôts ou les hôpitaux, et peut-être demain dans des foyers bien cadrés. Mais le rêve d’un robot domestique totalement autonome reste, pour l’heure, un mythe technologique. Ce constat n’est pas du cynisme, mais une lecture réaliste d’un secteur en pleine expérimentation, encore dépendant de la supervision humaine.
À la Maison de l’Intelligence Artificielle, où nous possédons déjà plusieurs robots et en acquérons régulièrement de nouveaux, notre expérience de terrain nous a rapidement éclairés sur leurs limites actuelles : compréhension encore fragile du monde qui les entoure, manque de robustesse et difficulté à réagir de manière fiable en situation concrète. Cette expérience directe montre clairement que l’autonomie totale n’est pas pour aujourd’hui… et n’est en rien garantie pour demain.



(c) Maison de l’Intelligence Artificielle
C’est précisément pour cela que la Maison de l’IA se donne pour mission de sensibiliser aux bons usages de l’IA, sans catastrophisme mais sans optimisme démesuré non plus : montrer ce que ces technologies peuvent réellement faire, ce qu’elles ne peuvent pas encore accomplir, et comment les utiliser de façon responsable.
Alexandre GENETTE, Chargé de médiation et de projets IA à la Maison de l’Intelligence Artificielle